Le sexe dans «la traite sexuelle»

Original: The Sex in Sex Trafficking, par Laura Agustín, 19 novembre 2008, American Sexuality. Traduction par Thierry Schaffauser.

Le sexe dans «la traite sexuelle», par Laura Agustín

Je ne crois pas qu’il y ait des sexualités nationales. Mais notre langue reflète de vagues impressions sur la façon dont les gens d’autres cultures font l’amour – un baiser avec la langue, «français»; pénétration anale, «Grec»; pénis entre les seins, «Cubain”. Il y a des stéréotypes que la plupart d’entre nous ne prenons pas au sérieux, et les balises nationales varient en fonction des pays où nous sommes. Mais partout nous avons des notions qui sont là, quelque part étranges, merveilleuses, et des formes exotiques de sexe n’attendent que nous pour les essayer.

Mais que dire de la traite sexuelle, dénoncée dans les médias comme une criminalité galopante liée aux gangs et à l’insécurité aux frontières? Le gouvernement américain, qui prétend être l’arbitre moral du monde, dépense des millions à émettre un rapport annuel en carte de notation des efforts des autres pays pour lutter contre ce crime et d’essayer de sauver ses victimes dans le monde entier. L’implication est claire: les idées «américaines» sur le sexe et la morale sont les bonnes pour la planète. En d’autres termes, si l’idéal «américain» des relations sexuelles est accepté partout dans le monde, l’asservissement des femmes et des enfants prendra fin.

En occident, à présent, de nombreuses personnes croient que le sexe doit exprimer l’amour. On dit aussi que ce «bon» sexe fournit un moyen clé pour découvrir son identité personnelle, qui nous sommes vraiment, notre vie intime. Il est supposé que les sentiments d’amour augmentent le plaisir (quantitativement) et l’intensifient (qualitativement), résultant dans la passion véritable qui s’exprime à travers des relations de long terme, et engagées émotionnellement. D’autres relations sexuelles semblent alors mal, parmi elles le sexe anonyme, public, et de «promiscuité». Par-dessus tout, le «véritable» amour et le sexe sont dit être incompatibles avec la rationalité et le travail au moins c’est ainsi que beaucoup souhaitent qu’il le soit.

Dans le même temps, les gens se demandent: Y a-t-il un boom en cours de l’achat et de la vente de sexe, qui fait partie d’une sexualisation générale de la culture contemporaine? Puisque des données objectives sont impossibles à recueillir lorsque les entreprises opèrent en dehors de la loi, nous ne pouvons pas savoir si les transactions sexuelles contre argent sont plus en cours que jamais, mais nous savons certainement que nous en voyons et en entendons parler plus. Ainsi, bien que nous racontions une histoire puissante sur l’appartenance du sexe et de l’amour ensemble, nous comprenons aussi que les gens veulent d’autres types de relations sexuelles. Nous entendons parler de personnes qui achètent et vendent des services sexuels par nos amis, connaissances, les médias, et parfois via des rapports sur les migrations, et c’est là où la traite sexuelle entre en jeu.

Dans un contexte d’hostilité croissante envers les migrants, cela ronge les nerfs des gens de penser que beaucoup pourraient préférer utiliser le sexe pour gagner de l’argent au lieu de laver de la vaisselle, garder des enfants, travailler dans un atelier clandestin, ou la cueillette des fruits, et ce pour beaucoup moins d’argent. Mais les migrants-qui viennent dans toutes les tailles, formes et couleurs, et d’origines variées à l’infini – essaient juste d’obtenir le mieux de ce qui peut être un chemin très rocailleux. Les migrants qui traversent les frontières pour travailler doivent être souples et adaptables pour réussir. Ils ne savent souvent pas à l’avance comment ils vont vivre, et ne connaissent pas la langue. Ils peuvent ne pas trouver la nourriture, la musique ou les films qu’ils aiment, ou la mosquée, le temple ou l’église. Tout semble différent, ils se sentent seuls. Ils peuvent se sentir une pression énorme à rembourser les dettes contractées pour entreprendre leur voyage, et ils peuvent craindre d’être ramassés par la police. Mais ils sont arrivés avec un plan, quelques noms et adresses, et une certaine quantité d’argent.

Lorsque la politique migratoire est resserrée dans le même temps que les emplois à faible statut sont disponibles en abondance, un marché s’ouvre pour aider les migrants à traverser les frontières. Certains de ces voyages semblent légaux, mais une grande partie implique des risques plus importants et des coûts plus élevés, et certains comportent- une exploitation flagrante que les migrants soient destinés à travailler dans des mines, des maisons privées, des ateliers clandestins, l’agriculture ou l’industrie du sexe.

Certains migrants préfèrent tout plutôt que de vendre du sexe, par exemple, des «mules» prennent comme travail de transporter des stupéfiants à l’intérieur de leur corps. Après avoir traversé une frontière, l’expérience de travail et les diplômes, que ce soit en col blanc ou bleu, ne sont généralement pas reconnus. Des migrants instituteurs, ingénieurs, infirmières, coiffeurs et toute une gamme d’autres ne trouvent que des emplois de faible statut, peu rémunérés qui s’offrent à eux. Beaucoup d’entre eux, quelque soit le spectre social, préfèrent travailler dans l’industrie du sexe dans l’un ou l’autre d’une grande variété d’emplois.

Bars, restaurants, cabarets, clubs privés, bordels, discothèques, saunas, salons de massage, sex-shops, peep-shows, chambres d’hôtel, dans leur propre logement, librairies, clubs de strip-tease et lap-dance, donjons, via des sites Internet, des salons de beauté, clubs, cinémas, toilettes publiques, des lignes téléphoniques, des fêtes à bord de navires, ainsi que modèle, dans des fêtes échangistes, d’enterrement de vie de jeune garçon et fétichistes, le sexe est vendu un peu partout. Lorsque ce sont des entreprises qui opèrent sans licence, les travailleurs sans-papiers peuvent facilement être utilisés: le paradoxe de l’interdiction. Pour les migrants qui travaillent déjà sans autorisation officielle, ces emplois pourraient bien ne pas sembler plus risqués que les autres.

Afin de comprendre pourquoi les titres des journaux insistent pour que toutes les femmes migrantes qui se prostituent soient des victimes, nous devons revenir à l’idée populaire que la place du sexe est à la maison, entre amoureux «engagés» et dans la famille. Lorsque que seul ce genre de relation est imaginé être équitable et valable, il devient plus facile de penser que les femmes d’autres cultures sont pauvres, arriérées, des objets vulnérables qui attendent passivement leur exploitation par des hommes avides. Avec ces notions, du point de vue d’un abri confortable, personne ne choisirait de vendre des services sexuels et les migrants doivent être obligés de le faire.

Que pouvons-nous savoir sur le sexe réel impliqué dans ce conflit moral? Nous savons tous que les actes sexuels ne sont pas les mêmes dans le contexte de la relation amoureuse, et ils ne sont pas tous les mêmes juste parce que l’argent est échangé pour eux. Les travailleurs migrants vendent des millions d’expériences sexuelles chaque jour dans le monde entier à des clients de différentes cultures, apprenant et enseignant à travers l’expérience physique comment se mêle les compétences, la sophistication, l’hostilité, la tendresse, l’insécurité, le respect.

Lorsque nous avons des rapports sexuels avec d’autres, nous nous influençons mutuellement, et bien qu’une interaction unique ne puisse pas avoir un impact durable, de nombreux accords sexuels sont complexes ou répétitifs. Parfois, une seule expérience peut changer le cours d’une vie. Dans une relation commerciale, d’un côté il y a des gens flexibles sur la façon dont ils gagnent de l’argent, de l’autre des gens qui veulent satisfaire un désir ou une expérience. Ces relations prennent place dans des contextes sociaux réels, en effet, le sexe lui-même est souvent issu de la consommation ostentatoire d’alcool ou de divertissement, de croisière ou tout simplement pour les hommes d’être entre hommes. Puisque partout les hommes bénéficient de plus d’autorisation d’expérimenter le sexe et ont plus d’argent à dépenser, leurs goûts aident à déterminer ce qui est offert et avec qui, qu’il s’agisse de femmes, d’hommes ou transsexuelles.

Ces millions de relations, qui ont lieu tous les jours, ne peuvent pas être réduites à des actes sexuels indifférenciés ou éliminés de l’examen culturel simplement parce qu’ils impliquent de l’argent. A la fois le travailleur du sexe et le client peuvent jouer de séduction, flirt, et d’affection quand ils sont ensemble, mais la camaraderie, l’amitié, l’amour et le mariage peuvent aussi se produire. Et les deux côtés sont fascinés par les différences sexuelles, imaginées être «nationales», exotiques, et réelles.

Comment nous performons le sexe, ce que nous ressentons lorsque nous faisons les choses en particulier, dépend de notre contexte culturel (non national): la façon dont on nous a appris à le faire et par qui, ce que nous étions autorisés à essayer, si nous avons parlé à d’autres de ce nous faisions et ce que nous voulions. Quand nous nous engageons sexuellement avec d’autres, nous apprenons et enseignons, nous nous influençons les uns les autres et changeons notre façon de faire les choses, souvent sans le savoir. Parce que les gens sont pauvres, ou ont quitté leur pays pour travailler à l’étranger, ou prennent de l’argent en échange de rapports sexuels ne change pas leur humanité, leur capacité à se sentir, de réagir, d’apprendre ou d’enseigner, si le sexe est en cause ou non.

Les titres sur la traite sexuelle prétendent que toutes les femmes migrantes qui se prostituent sont toujours victimes de violence, sans égard de leurs origines diverses et sans leur demander comment elles se sentent. Mais beaucoup rejettent être définies comme sexuellement vulnérables et en besoin de sauvetage et de protection. Tout le monde ne ressent pas les choses de la même façon avec le sexe dans les pays riches comme les Etats-Unis, ou dans tout autre pays. La nationalité est une mauvaise façon de comprendre les êtres humains et leurs sexualités.

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