Grandes prétentions, peu de preuves: la loi de la Suède contre l’achat de sexe

Original: Big claims, little evidence: Sweden’s law against buying sex, par Laura Agustín, publié dans The Local (Suède), 23 juillet 201. Traduction par Thierry Schaffauser.

Un nouvel examen de l’interdiction de la Suède d’acheter du sexe a fourni peu de preuves que la politique de prohibition a fonctionné, écrit Laura Agustín, mais peu de politiciens ont osé faire remarquer ses échecs évidents.

Tous les Suédois savent que la célèbre loi contre l’achat de sexe – sexköpslagen – est une patate chaude. Peu de politiciens ont commenté d’une façon ou d’une autre sur l’évaluation de la loi annoncée le 2 juillet, et seul un fonctionnaire du gouvernement a affirmé qu’elle prouve que la loi est un succès. Étant donné que le rapport a été vivement critiqué comme vide de preuve et de méthodologie, mais plein d’idéologie dans sa mission même, le débat a été curieusement muet, même pour la période de l’année.

A une autre période de l’histoire la loi contre l’achat de sexe aurait pu être considérée comme une pièce mineure de la législation sur un problème social simple. Peu de gens meurent, sont mutilés à vie ou perdent leurs maisons et leurs emplois à cause de la prostitution ici; d’autres menaces à la sécurité et au bonheur national peuvent paraître plus pressantes.

Mais une faction féministe promeut l’idéologie que les prostituées sont toujours, par définition, les victimes d’une violence contre les femmes. En tant que victimes, elles ne peuvent pas être des criminelles, ainsi ce côté de l’échange de sexe contre de l’argent n’est pas pénalisé, tandis que ceux qui achètent sont les auteurs d’un crime grave. Cette idéologie, une opinion minoritaire dans d’autres pays, prédomine chez les féministes d’État suédoises qui prétendent que l’existence du commerce de sexe est un obstacle majeur à la réalisation de l’égalité de genre. Un tel dogme est étrange, étant donné le très petit nombre de personnes engagées dans la vente de sexe dans un État-providence qui ne les exclut pas de ses services et avantages. Il n’est pas illégal de vendre du sexe en Suède, seulement de l’acheter.

L’évaluation s’est appuyée lourdement sur les données à petite échelle de la prostitution de rue, parce que c’était plus facile à trouver. Nul doute que la plupart des travailleurs du sexe sont allés ailleurs après que la loi est entrée en vigueur, et personne ne sait où ils sont allés. Mais les évaluateurs ont soutenu leur cause en affirmant que la prostitution de rue a augmenté au Danemark, où il n’existe pas de loi, en utilisant les informations d’une ONG de Copenhague dont les données ont été gonflées puis exposées au Parlement l’an dernier. La prostitution de rue est connue, en tout cas, pour constituer une petite partie, et en diminution, de l’ensemble de l’industrie du sexe.

Le rapport admet que «la prostitution sur Internet» était difficile à rechercher, mais présente une mauvaise compréhension de la multiplicité des entreprises, des emplois et des réseaux qui caractérisent l’industrie du sexe. Demander aux fonctionnaires de police et aux travailleurs sociaux ce qu’ils pensent sur ce qui se passe n’est pas un substitut pour une vraie recherche, et aucune étude universitaire ne prétend connaître l’ampleur de la prostitution ici. Un rapport du gouvernement de 2007 a admis qu’il était difficile de trouver quoi que ce soit sur la prostitution en Suède.

L’évaluation ne rend pas compte de la façon dont la recherche a été effectivement réalisée – sa méthode -, mais est plein de documentation sur l’histoire suédoise et sur pourquoi la prostitution est mauvaise. Seuls 14 travailleurs du sexe ont été effectivement sollicités pour avis sur la loi, dont sept avaient déjà cessé de vendre du sexe. C’est un affichage plutôt pathétique.

Plusieurs commentateurs de la presse ont saisi l’occasion pour attaquer la loi elle-même, puisque, malgré les affirmations régulières du gouvernement que la majorité des Suédois soutiennent la loi, l’opposition est féroce. Dans la blogosphère et autres forums en ligne, les libéraux, libertaires et membres non-conformes des principaux partis résistent sans relâche à une vision réductrice de la sexualité dans laquelle les femmes vulnérables sont toujours menacées par des hommes prédateurs.

Mais la plupart des politiciens se sentent sans doute peu de bonne volonté à venir se plaindre d’une législation désormais symbolique de Mère Suède. L’Institut Suédois a fait de l’abolition de la prostitution une part de la marque de la nation, ce qu’ils appellent un “paquet multi-facettes pour rendre la Suède attrayante pour le monde extérieur.” L’IS, qui prétend représenter le pays le plus «socialement libéral » de la planète, célèbre l’égalité de genre et l’amour gay avec Ingmar Bergman, la haute technologie et les forêts de pins.

La Suède se classe incontestablement à un rang élevé sur plusieurs mesures d’égalité de genre, comme le nombre de femmes qui travaillent à l’extérieur du foyer, leurs salaires et la durée du congé parental. Mais d’autres politiques considérées comme faisant partie de l’égalité de genre sont beaucoup plus difficiles à mesurer: le changement culturel, comment les gens ressentent la différence sexuelle et, surtout, l’effet d’une interdiction d’achat de services sexuels. Il n’est donc guère surprenant que l’évaluation du gouvernement ne présente pas de preuve que les relations entre les hommes et les femmes se sont améliorées en Suède en raison de la loi. La principale recommandation de l’évaluation est de rigidifier la punition infligée aux hommes qui achètent du sexe.

Il y avait quelque chose de nouveau cependant dans le positionnement sur la loi de la ministre de la Justice à la presse internationale – une allégation selon laquelle elle a été prouvée efficace pour combattre la criminalité organisée, notamment celle appelée traite sexuelle. Ne citant aucune preuve, le rapport affirme qu’il y a moins de traite en Suède parce qu’elle est maintenant «moins attractive» pour les trafiquants.

Ces déclarations naïves soutiennent que, sans une demande pour le commerce du sexe, il n’y a pas d’offre, ignorant la complexité des moyens dont les marchés du sexe contre argent fonctionnent dans des cultures avec des concepts différents sur la famille et l’amour, réduisant un large éventail d’activités sexuelles à une notion abstraite de violence et écartant les nombreuses personnes qui confirment qu’elles préfèrent vendre du sexe à d’autres moyens de subsistance.

En ce qui concerne la lutte contre la traite, il n’existe aucune preuve. Les statistiques continuent d’être une source de conflit dans les débats internationaux, car les différents pays, institutions et chercheurs ne s’entendent pas sur ce qui constitue réellement la traite. Cela n’aide pas que le féminisme intégriste refuse d’accepter la distinction entre traite des êtres humains et le passage clandestin humain lié à la migration du travail informel, telle qu’elle est consacrée dans la Convention des Nations Unies sur la criminalité organisée.

Le gouvernement suédois n’a rien prouvé avec cette évaluation, et la plupart des politiciens suédois se tiennent tranquilles, car il est évident qu’ils le savent.

–Laura Agustín, the Naked Anthropologist

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